UTTER DARK webzine

 

Voilà enfin quelque chose qui devrait mettre du baume au coeur de ceux qui désespéraient de voir un groupe de heavy metal proposer autre chose que les sempiternelles cavalcades "heroïc-fantasy" à grands renforts de choeurs lénifiants, d'arrangements baroques, de chant épique très haut perché et de tripotage de manche intensif.
 

Que les clônes de RHAPSODY en prennent de la graine et y repensent à deux fois avant de polluer le répertoire d'un style totalement engorgé, hélas à la grande joie d'une frange grossissante d'adeptes aveuglés par les atours séduisants mais superficiels que déploient ces hordes de mercenaires d'un heavy-speed au rabais. Il aura fallu l'émergence d'un combo suédois signé sous un label germano-suisse (si fait...) pour attaquer un abcès qui sera dur à crever.
 

EVERGREY n'a certainement pas le coffre nécessaire pour susciter la révolte, sans doute encore moins l'ambition, mais ce groupe montre une orientation encore relativement inédite et une créativité de bon augure. La recette est pourtant simple : prenez des lignes de guitares directes, saupoudrez les avec un soupçon d'hypocondrie toute pessimiste et laissez revenir le tout dans un bain de percussions métronomiques calquées sur l'alternance des émotions. Vous obtiendrez une idée de ce que peut donner le heavy progressif et impénetrable d'EVERGREY, où les preux chevaliers regagnent leur château au profit de démons nocturnes ("Nosferatu", "She speaks to the Dead") symbolisant les angoisses inavouées de tout un chacun. Mélancolique donc, mais jamais déprimant, EVERGREY se plaît à restituer un univers empreint de délicatesse qu'il convient de sonder avec précaution, le groupe ne se faisant pas prier pour brouiller les pistes.
 

C'est ainsi aux moments où l'on commence à remuer un peu la tête après vingt secondes d'un riff entraînant que les violons surgissent pour rompre notre élan. Car si quelques interventions d'instruments classiques (violons donc, mais aussi piano ou harpe) s'immiscent régulièrement, ce n'est jamais dans un souci démonstratif, mais pour sous-tendre des atmosphères où se mêlent souffrance et goût prononcé pour un esthétisme musical austère. Le splendide timbre éraillé de Tom S. Englund est une bénédiction dans ce contexte, et témoigne d'une abnégation personnelle dans les morceaux qui se fait saisissante lorsque sa voix se brise littéralement telle une vague timide contre les écueils d'un "Words Mean Nothing" aussi vipérin que beau à pleurer.
 

Le chemin d'EVERGREY n'est pas très loin de croiser celui d'un ICED EARTH qui aurait forcé sur les sédatifs. Reste à se demander s'ils oseront pousser plus loin l'autodestruction ou s'ils reviendront à quelquechose de plus sage, de plus... commercial.
 

B.G. 23-06-00